Fort Breendonk (3)







(---)  Il était pour moi impensable que des prisonniers qui, à de très rares exceptions près, n'avaient jamais 
fait de travail de force avant leur arrestation et internement, aient pu pousser ces engins sur un sol argileux desséché par le soleil et couvert d'ornières dures comme le roc, ou dans le bourbier qui se formait dès les premières pluies, impensable qu'ils aient pu s'arc-bouter jusqu'au bord d'exploser ou bien encore, quand ils n'avançaient pas, être frappés sur la tête à coups de manche de pelle par l'un ou l'autre des surveillants. Ce qu'en revanche je m'imaginai parfaitement, à l'inverse de ces supplices qui se répétèrent jour après jour, des années durant, aussi bien à Breendonk que dans tous les autres camps, principaux et secondaires, ce que je pus parfaitement m'imaginer, lorsque je pénétrai enfin moi-même dans cette forteresse et regardai tout de suite à droite par la vitre d'une porte donnant sur le mess des SS, avec ses tables et ses bancs, son gros poêle de fonte et, au mur, ses devises soigneusement peintes en lettres gothiques, c'étaient les bons pères de famille et les bons fils de Vilsiburg et de Fuhlsbüttel, de la Forêt-Noire et du Münsterland qui, leur service accompli, jouaient ici aux cartes ou écrivaient à la maison des lettres aux êtres chers : n'avais-je point vécu parmi eux jusqu'à ma vingtième année ?  (---)

Austerlitz

W. G. Sebald









17/05/15







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